Un caftan bleu roi

Halim et Mina forment un couple ordinaire au Maroc. Mariés depuis plus de 20 ans, ils tiennent un magasin de caftans traditionnel. Mais sous ces apparences, un secret sommeille. Quand un jeune apprenti surgit, l’équilibre du couple menace de vaciller. 

“L’article 489 du code pénal du Maroc criminalise « les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe ». L’homosexualité est illégale au Maroc, elle est punissable de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 120 à 1 200 dirhams.”

La condamnation juridique est lourde mais pire est le fardeau moral de ceux qui osent vivre leur vie comme ils l’entendent. Une vie dissidente, pas comme les autres, une vie qui fait honte. Des hommes qui aiment les hommes et des femmes qui aiment les femmes… Combien sont-ils au Maroc ? Aucune statistique n’est disponible pour dénombrer ces individus considérés comme “licencieux”. C’est une lourde responsabilité d’endosser le rôle du fantôme. Le Bleu du Caftan nous ouvre les portes d’un monde inconnu et tabou où des individus profitent discrètement de leur liberté. 

Happée par le titre évocateur, je m’attendais à une vague histoire d’amour sur fond de festivités. Le bleu est une couleur vive. Le Caftan marocain est un habit prestigieux. On le retrouve aux mariages, aux baptêmes et dans tout autre rassemblement joyeux. Je m’attendais à une idéalisation de la transgression, à un film esthétiquement joli mais mièvre. Ce n’était pas le cas. Maryam Touzani nous a épargné un scénario larmoyant et campe un personnage féminin puissant. Comment ne pas craquer face au charme solaire de l’excellente Lubna Azabal ? Cette fumeuse de cigarette à la grosse voix guide le film. Pourtant, elle n’en est pas l’objet principal. 

En réalité, il n’est pas question d’homosexualité mais d’amour et d’amitié. Peut-on aimer sans désir sexuel ? Peut-on désirer sans aimer ? Peut-on accepter que ceux qu’on aime partent ? Tout l’intérêt du film réside dans le point de vue unique et réaliste qu’il offre sur les relations humaines. Le film ne nous montre pas le point de vue d’une femme délaissée par son mari. Il nous montre celui de trois personnes qui choisissent de s’aimer de façon différente. Aucun personnage n’est effacé. L’intrigue se déroule à huis clos ce qui alimente une tension constante. Tout le monde observe et est observé. Cette production nous livre un tendre message sur ce que devrait être l’amour : un don de soi. Qu’y a t-il de plus tendre que cet apprenti qui achète des mandarines pour sa grande rivale ? C’est la pureté poussée à son paroxysme.

Halim n’a pas choisi d’être homosexuel. Youcef n’a pas choisi d’être abandonné par ses parents. Mina n’a pas choisi d’être malade. Ces trois individus sont réunis par un concours de circonstance mystérieux qui renforce le caractère tragique de leur situation sociale. Pourtant, la réalisatrice réussit à détruire la tragédie, à la dépasser pour montrer que la liberté et l’amour finissent toujours par gagner. C’est niais, je vous l’accorde. Mais c’est vrai. 

Certes, on aurait pu mieux faire. On peut toujours mieux faire après tout. Le Bleu du Caftan souffre de quelques lenteurs. Les deux heures, sans être insupportables, se sentent bien. Il faut dire que le projet était bien ambitieux. Montrer des non-dits dans un environnement clos devait relever du casse-tête. Parfois, les plans de caméra se répètent. On se lasse. On sent qu’un effort a été fait pour créer une mise en scène. La sincérité du propos est ternie par l’ artificialité de la forme. Par ailleurs, la bande son n’est pas percutante. Mais le film arrive largement à compenser ces défauts par son intensité et sa complexité, par la justesse avec laquelle il peint la société marocaine conservatrice. 

Myriam Touzani a su saisir un symbole fort pour en faire un élément central du film. Le choix du caftan n’était pas anodin. Le caftan est un marqueur culturel très évocateur.  A travers le caftan, tout un symbole sur le déclin d’une société traditionnelle. Celle où les femmes s’habillaient avec des vêtements amples et ou la machine ne menaçait pas encore la main des humains. Et au milieu de tout ça, Halim et Mina choisissent de ne pas abandonner leur magasin. Ils continuent à confectionner leurs caftans patiemment, librement, alors que la société les presse d’aller plus vite. 

La société voudrait des caftans aseptisés, sans âme et sans subjectivité. Eux veulent prendre leur temps, continuer à transmettre. Mais un caftan doit pouvoir s’adapter au temps qui passe. C’est peut-être le propos de Myriam Touzani. La tradition peut s’enrichir de la modernité et la modernité doit puiser dans la tradition. C’est le seul moyen de préserver son identité. Mina prie. Mais elle soutient son mari. Un corps doit traditionnellement être embaumé et caché. En choisissant d’en brandir un avec fierté, Halim et Youssef expriment une volonté : celle de ne pas laisser la société les priver d’une attache à la tradition. La tradition peut enchanter quand elle ne nous fait pas étouffer. Voilà une prise de position finale tout en douceur qui offre au film toute sa beauté. 

En réalisant ce film, Myriam Touzani a confectionné son propre caftan, un caftan délicat et chatoyant qui résiste au temps. Un caftan qui survit à celle qui l’a porté. Un caftan qui ressemble au futur. Un caftan filé d’or à l’image d’une société rêvée. 

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