Une histoire de boucles

Mes cheveux ne sont pas hrach, ils sont bouclés“. Voilà ce que m’a dit Nelly, une jolie marocaine à la chevelure ébène. Sa petite tête est recouverte de boucles toutes frisées. Hrach en arabe peut être traduit par sec et rugueux. C’est un terme dépréciatif souvent utilisé au Maghreb pour caractériser les cheveux.
Quand je tire sur les mèches de Nelly, elles rebondissent comme un ballon. Nelly m’a raconté son histoire. Elle est révoltée. Je souhaitais vous en parler. Je pense que de nombreuses femmes maghrébines se reconnaîtront.
 
Si vous avez toujours rêvé d’avoir le même volume capillaire que Nelly, sachez qu’il est lourd à porter. Nelly n’a pas toujours été cette fille solaire qui s’amuse, qui sort en se pavanant, cheveux au vent.

En primaire, à 6 ans, c’est déjà la galère.  Ses cheveux sont difficiles à coiffer. Sa mère est dépassée. Résultat, ses boucles sont broyées par des coiffages inadaptés, agressifs : “Ma mère me tressait les cheveux tous les soirs. On ne peut pas dire qu’elle n’en prenait pas soin. Mais pour elle, des cheveux bien coiffés c’était quand il n’y avait aucune boucle qui dépassait.” La mère de Nelly tirait. Nelly hurlait. Le rituel du coiffage n’a jamais été plaisant.

Tous les moyens sont bons pour détruire les frisottis. Pour donner l’illusion d’avoir des cheveux lisses d’européenne, on peut tenter d’alourdir ses cheveux, on peut les huiler, les laisser pousser ou….tirer très fort. Et quand on tire, ça fait mal. Mais pour Inès c’était normal car comme le veut l’adage : “Il faut souffrir pour être belle”. C’était toujours la même rengaine un tantinet agaçante.

Nelly déplore : “Moi je ne comprenais pas pourquoi le coiffage faisait aussi mal. Peu importe à quel point je tirais, mes cheveux restaient frisés. Et chez moi on rigolait. “Nelly, il faut souffrir pour être belle, ma belle !”

Nelly ne sera jamais assez belle. Pendant des années, la jeune fille tente de se soumettre à des injonctions auxquelles elle ne peut pas répondre. Mais elle n’abandonne pas. Pour une femme,  la souffrance est supportable, acceptable. Pour une femme, être belle rattrape le fait de souffrir tous les jours.

Au collège, les choses empirent. Nelly devient une drôle de bête. On tire ses boucles. Sa chevelure devient une touffe. On la pointe du doigt. Nelly est une attraction. “Je voulais avoir les mêmes cheveux que les filles qui avaient des cheveux lisses. J’ai acheté tellement de produits. Mais même quand je lissais mes cheveux, ils n’étaient pas pareil. Ça me désespérait. J’ai beaucoup pleuré à cause de ça. Au collège, je ne pouvais pas lâcher mes cheveux. Si je le faisais, tous les regards étaient braqués sur moi. On se moquait de moi. Un jour, une prof m’a dit que ce n’était pas convenable de venir en cours comme ça. Je voulais juste quitter la pièce. J’avais vraiment honte”.

Détester ce que l’on est

Comment expliquer que Nelly et tant maghrébins aient autant de dégoût pour leurs propres chevelures ? D’où vient l’appréciation que les cheveux frisés seraient plus laids que les cheveux lisses ? Pourquoi nos mères et nos sœurs nous répètent sans cesse que nos cheveux sont rugueux et qu’il faut les changer ?

Après tout, les critères de beauté sont en partie influencés par les caractéristiques culturelles propres à chaque pays. Pourquoi les maghrébins et les maghrébines détestent-ils ce qui les entoure ? Il ne serait pas fantaisiste d’affirmer qu’au moins 70% de la population algérienne possède des cheveux bouclés à frisés. Mais alors, quoi ? Un oiseau peut-il raisonnablement décider d’hair ses propres plumes ?

Une petite chronologie de la guerre contre les cheveux bouclés et frisés


Plusieurs événements m’ont fait repenser à cette histoire de cheveux et d’égo. Rappelons-nous de l’élection de Khadija Benhamou. En 2019 cette jeune algérienne de 23 ans devenait Miss Algérie.

Magnifique non ? Des grands yeux noirs pétillants et une peau dorée par le soleil d’Adrar. Mais elle n’est pas voilée. Et elle n’a pas les cheveux lisses. Il n’en fallait pas plus que la société s’embrasse. Au lendemain de son élection, une déferlante de commentaires racistes. Khadija Benhamou serait trop noire, pas assez blanche, elle n’a pas les yeux clairs, elle n’a pas les cheveux blonds, elle n’est pas algérienne, c’est un complot, puis la colère, la fureur, le harcèlement. C’est à se demander si les algériens savent réellement à quoi ressemblent leurs semblables. Évidemment, ils se sont défendus : “Si on ne l’accepte pas ce n’est pas à cause de sa peau foncée, c’est parce qu’elle n’est pas belle”.

Pas belle, elle ? Le déni est puissant. Ou la dissonance cognitive. Au choix. En réalité, elle est belle. Mais pas comme certains voudraient qu’elle le soit.

En tout cas ! La guerre contre les cheveux bouclés n’avait pas signé sa fin.  L’année suivante, Naila Benchekor, 16 ans et lycéenne se voyait refuser l’entrée de son lycée parce que ses cheveux bouclés ont été jugés… inappropriés et négligés.

Pourquoi la chevelure nord africaine est si difficile à endosser

Derrière cette haine du frisé se cache une haine intériorisée héritée du colonialisme, une peur bleue de ressembler à ce que les colons ont renvoyé. Sur ce point, la chevelure nord africaine peut engager des débats similaires à ceux qui animent aujourd’hui la chevelure des subsahariens.
Si le peuple rejette avec consternation  khadija Benhamou, c’est parce que son apparence renvoie à une identité africaine que les nords africains n’arrivent pas encore à totalement reporter.

Mais selon moi, la négrophobie et l’héritage du colonialisme ne sont pas les seuls éléments qui compliquent l’acceptation des cheveux bouclés.

En fait, le rejet du cheveux bouclé est aussi le reflet de sociétés incroyablement diversifiées. L’identité ethnique et culturelle des Maghrébins est complexe et multifacette. La vision culturelle qu’ils se font de la beauté l’est donc aussi.  Des pressions internes aux communautés maghrébines peuvent donc contribuer au rejet des cheveux bouclés.

Accepter ses cheveux bouclés implique de se libérer d’une imagerie culturelle qui ne reflète pas toujours la réalité de la beauté maghrébine. Cela signifie abandonner l’idée selon laquelle les Berbères ont des cheveux lisses et les arabes des cheveux bouclés, et reconnaître que la beauté maghrébine est diversifiée et ne peut être réduite à une seule image stéréotypée.

Peut-être qu’un jour, le temps fera son œuvre. Un jour, la beauté maghrébine sera considérée pour elle-même, avec tout ce qu’elle a de plus riche et divers,  indépendamment des normes occidentales. Ce jour-là, la population maghrébine saura s’affranchir du rejet des cheveux hrach. Ce jour-là enfin, les cheveux hrach ne seront plus marginalisés mais acceptés comme un élément identitaire plutôt qu’un élément marginal.

Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes  comme Nelly osent lâcher leur crinière dans la rue, au travail, à l’école. Une entreprise qui relève du combat selon la jeune fille : “Dans la rue, on me dévisage. Les plus méchants se moquent, les plus bienveillants me demandent si ils peuvent toucher. Je suis marginale. C’est même devenu un trait de personnalité. À cause du harcèlement, des brimades, j’ai souffert. Quand on souffre autant avec quelque chose, une relation de proximité se forge. Mes boucles je les aime. J’en suis fière”.

Il faut dire que moi aussi, je suis fière de Nelly, fière de ce qu’elle représente pour sa génération. 

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